« Je ne dors plus » : des Ukrainiens d’ici témoignent
Dimitrii et Kateryna ont participé à une manifestation en soutien à l'Ukraine à Montréal. |
« Je ne dors plus, je ne cuisine plus, je pleure beaucoup. C’est très difficile. » Après une semaine de guerre en Ukraine, des membres de la communauté ukrainienne de la Rive-Sud nous racontent comment ils vivent cette tragédie, loin de leur pays natal et de leurs proches.
Dimitrii et Kateryna Klymenko, jeunes parents d’un fils de cinq ans, ont adopté le Canada depuis quatre ans. Ils habitent à Longueuil, ville où 10 % de la communauté ukrainienne du Québec vit.
Depuis le début de la guerre, Kateryna parlait au téléphone à ses parents tous les jours, mais au sixième jour, les soldats russes ont encerclé sa ville natale Marioupol, et les communications ont cessé. Silence radio.
« Je suis terrifiée, exprime Kateryna. Les bombardements et les soldats attaquent les civils. Des villes sans aucune base militaire sont détruites. Il n’y a plus d’électricité, plus de chauffage, plus d’eau potable. Ma maison à Marioupol n’existe plus, mes proches se cachent ou vont se battre. C’est horrible. »
Située à la frontière de la Russie, la situation a toujours été compliquée à Marioupol depuis la révolution ukrainienne en 2014 selon le couple, mais aujourd’hui « c’est l’enfer ».
Les amis de Dimitrii, artistes, musiciens, journalistes, caméramans ont laissé tomber stylos, instruments et caméras pour des kalashnicovs. De nombreux Ukrainiens décident de rester pour défendre leur pays en prenant les armes.
« Tout le monde doit comprendre que les Ukrainiens ne défendent pas seulement l’Ukraine, ils défendent les valeurs démocratiques et européennes contre le système autoritaire de Vladimir Poutine, souligne Dimitrii. Poutine veut recréer l’Union soviétique, mais nous sommes contres. Nous ne voulons pas le retour de l’autoritarisme. »
Halyna Lunhu vit au Québec depuis cinq ans avec son mari, ses deux filles et son fils. Son garçon de 5 ans semble comprendre que quelque chose ne vas pas : « Le comportement de mon fils a changé. Il sent que l’ambiance à la maison est différente. Je ne cuisine plus, je ne dors plus, je ne joue plus avec lui … C’est très difficile de vivre cette guerre, même à distance. Je pleure beaucoup. D’un côté, je suis heureuse d’être ici avec ma famille, en sécurité physique. Mais la sécurité mentale en prend un grand coup. Il n’y a plus de lundi, mardi ou mercredi, ce sont désormais les cinquième, sixième et septième jours de guerre. »
Tout comme Dimitrii et Kateryna, ces résidents de Beloeil ont plusieurs membres de la famille en Ukraine, des parents, des frères, des soeurs, des oncles, des tantes, ainsi que de nombreux amis. « Des amis de ma fille de 22 ans ont pris les armes, des villes entières sont bombardées, des enfants et des familles meurent, c’est impossible d’imaginer ce qui se passe là-bas, dans notre pays. »
Halyna et son mari sont en pleine démarche pour rapatrier les parents de monsieur. Si tout va bien, ils devraient arriver dans quelques jours. Billets d’avion achetés, contacts en Europe appelés, il ne reste plus qu’à traverser les frontières pour se rendre à Paris.
« C’est incroyable toute l’aide qu’on reçoit des gens ordinaires, raconte émue Halyna. La mobilisation citoyenne du monde entier nous permet d’aider nos proches. Que ce soit pour de l’hébergement, du transport ou de l’aide humanitaire et financière. Ça nous touche énormément, nous les Ukrainiens. »
Pour soutenir leurs confrères, les deux familles récoltent des dons de vêtements, de produits d’hygiène et des médicaments pour envoyer en Pologne afin d’aider les réfugiés et les Ukrainiens qui se battent pour leur nation.
Reconnaissance de l’appui international
Les deux familles ne cessent de répéter leur gratitude envers le peuple québécois, canadien et international. « Quand j’ai montré à une amie en Ukraine que ma voisine avait affiché le drapeau ukrainien dans sa fenêtre, elle a pleuré », raconte Halyna.
Kateryna et Dimitrii remercie la mairesse de Longueuil d’avoir hissé le drapeau de l’Ukraine à l’hôtel de ville, comme l’a fait d’ailleurs le premier ministre du Québec, François Legault. « Cela nous fait tellement chaud au coeur de savoir que des milliers de personnes appuient et soutiennent l’Ukraine. On a besoin de ça. C’est grâce à ça que nous allons gagner la guerre, car la force du nombre et de la liberté repoussera Poutine. »
Même discours pour Halyna qui pense que l’appui international est la solution à l’arrêt de la guerre : « Poutine veut juste montrer sa force et sa puissance, mais ensemble, on gagnera. Vous savez, si on prend une branche on peut très facilement la casser, mais si on n’en prend dix, ça devient impossible. C’est ça que je vois avec le soutien de tous les pays. »
Fierté ukrainienne
Dimitrii et Kateryna sont fiers de leur président Volodymyr Zelensky, du maire de Kyïv Vitali Klitschko, ancien champion de boxe, et de leur peuple qui défendent ensemble leur pays.
« On a peur, et c’est normal, on n’a jamais vécu quelque chose de semblable, mais on va gagner. Nous sommes plein d’espoir, notamment grâce à notre président, notre gouvernement et notre armée qui se battent pour et avec le peuple », se rassure Halyna.
Une guerre inévitable
Bien que cette guerre soit une véritable tragédie, Dimitrii, Kateryna, Halyna et tous les Ukrainiens se doutaient qu’un jour Poutine essaierait de les attaquer une nouvelle fois.
« Ça a toujours été difficile d’être les voisins de la Russie depuis les huit dernières années alors qu’une partie de notre territoire a été annexée à la Russie, explique Halyna. Plusieurs personnes pensent que c’était une guerre dans l’Ukraine, mais c’est faux, les Russes sont venus nous prendre un bout de notre territoire. On savait de quoi Poutine était capable, mais on ne s’attendait pas à une chose pareille. »
Avant le début des bombardements à travers l’Ukraine, il faut rappeler que les troupes russes commençaient à s’amasser à la frontière ukrainienne. Halyna pensait que Poutine voulait un autre morceau du territoire ukrainien, mais ne s’attendait sûrement pas à une attaque aussi forte. « Aujourd’hui, il n’y a plus aucune ville où les gens peuvent se sentir en sécurité. »
Selon les deux familles, les problèmes avec la Russie persistent depuis des siècles, notamment depuis la Deuxième Guerre Mondiale et l’Holodomor, une extermination par la faim du peuple ukrainien par Staline.
« Tous les Ukrainiens savaient que Poutine allait recommencer la guerre », soutient Dimitrii.
Arrêter Poutine
Bien que les deux familles se disent satisfaites de toutes les sanctions internationales envers la Russie, elles demandent de tout faire pour arrêter Vladimir Poutine. Tous les trois sont catégoriques : Poutine ne s’arrêtera pas là.
« Si l’Ukraine tombe, les pays suivants sont la Moldavie, la Géorgie, la Pologne, etc. C’est pourquoi on demande que les pays démocratiques coupent toutes les relations financières avec la Russie. Même si notre armée est très forte, nous avons besoin de techniques spéciales pour protéger notre ciel et cesser les bombardements », explique clairement Dimitrii.
« On a vécu longtemps avec la Russie, on sait que Poutine ne s’arrête jamais, renchérit Halyna. Il se trouve des excuses pour expliquer son attaque, mais ce sont des mensonges. Il se voit comme invincible et parmi les hommes les plus puissants du monde. Dans le passé, Poutine a souvent eu ce qu’il demandait, alors il en demande toujours plus, et le monde s’adapte, sans trop le déranger, et voilà le résultat. Mais après l’Ukraine, il ira plus loin. »
« Si on ne l’arrête pas maintenant, on va avoir beaucoup de mal et de morts, poursuit-elle. Ce n’est pas pareil qu’au 20e siècle, aujourd’hui il y a des bombes qui peuvent détruire des villes et des pays entiers (référence aux têtes nucléaires). Je sais que les pays en font beaucoup pour nous aider, mais je pense qu’ils doivent faire tout ce qu’ils peuvent pour arrêter Poutine. »
Un autre moyen qui pourrait arrêter Poutine, selon Dimitrii, c’est la révolution : « Ce qu’on espère aujourd’hui, c’est que les leaders démocratiques russes réussissent à arrêter Poutine. Malheureusement, je pense que peu de gens sont prêts à s’opposer au régime de Poutine, alors que nous en 2014, le peuple a réussi à faire fuir le dictateur Viktor Yanukovitch, c’est pourquoi le peuple russe doit en faire plus. Les Ukrainiens ont démontré que c’est possible de changer son histoire et de retrouver sa liberté. »
À plus de 7 700 kilomètres de leur pays natal, les deux familles vivent cette guerre de loin, et font tout ce qu’ils ont en leur pouvoir pour aider les gens qu’ils aiment qui sont actuellement sous les bombes. Peut-être qu’un jour ils retourneront en Ukraine, mais seul l’avenir nous le dira.